Mon fils présentait les signes de l’alcoolisation fœtale et personne ne s’en est aperçu.
Interview Catherine Metelski Président de l’association Vivre Avec le SAF (Syndrome d’alcoolisation fœtale)
Catherine Metelski est la mère adoptive d’un jeune homme âgé aujourd’hui de 27 ans. Dès de sa petite enfance, ses parents avaient repéré des signes de développement anormal chez ce petit garçon adopté en Pologne. Aujourd’hui, elle se dit que si elle avait compris plus tôt ce qui se passait pour son fils, elle aurait pu l’aider de façon plus appropriée.
Handicap Agir Tôt : Quels sont les signes que vous aviez repérés dans le développement de Thomas ?
Quand nous l’avions vu à l’orphelinat en Pologne, c’était un enfant de deux ans, plutôt maigre, avec un visage spécial certes, mais très calme, presque atone. Il ne bougeait pas ou peu. Les médecins polonais nous ont dit qu’il faisait une allergie au gluten. Nous avons pensé que cette allergie était la cause de cette attitude. Nous nous sommes dit : « Il absorbe mal les nutriments c’est normal qu’il soit faible. Avec une alimentation normale tout rentrera dans l’ordre »
Arrivé à la maison en France six mois plus tard, notre petit gamin atone s’est transformé en tornade ! Ce fut une transformation radicale : une tornade qui court qui crie qui pleure, qui mord, très difficile à nourrir parce qu’il tourne la tête dans tous le sens.
Les médecins français nous ont alors dit « c’est un enfant adopté il faut qu’il se fasse à son nouvel environnement ».
Nous avons vu beaucoup de médecins : on est allé au Centre d’Action Médico-Social Précoce (CAMSP), on a vu des psychologues, on est allé en Centre Médico Psychologique (CMP). Tous ces gens nous ont dit : « c’est le syndrome de l’abandon… » et comme nous avions noté aussi qu’il avait parlé en retard on nous a expliqué cela par le bilinguisme. On nous a dit aussi : « est-ce que vous ne lui passez pas trop de choses, est-ce que vous n’êtes pas trop coulant avec lui ? ». C’était très culpabilisant.
Pourtant il avait déjà tous les signes du syndrome qu’on ne découvrira que plus tard.
HAT : Est-ce qu’il est allé à l’école ?
Oui, il est allé à l’école, mais il avait beaucoup de difficultés : il était hyperactif, il ne tenait pas bien sur ses jambes, il avait une maladresse avec les mains, ne faisait pas les dessins qu’on pouvait attendre pour son âge, il avait beaucoup de mal à tenir le stylo. Tout était en fouillis au fond du cartable ; il se faisait réprimander. Et puis il s’est mis à avoir des troubles du comportement : comme il était extrêmement frustré de ne pas réussir il cassait tout. Il a redoublé deux classes en primaire parce qu’il n’y arrivait pas.
HAT : A quel moment avez-vous mis le mot « handicap » ?
Beaucoup plus tard. Pourtant, nous aurions pu en prendre conscience avant, lorsqu’un jour un médecin nous a parlé d’alcoolisation avant la naissance. Ce jour-là, nous avions rendez-vous chez un gastroentérologue pour son allergie au gluten. Thomas avait 6 ans. Le médecin nous a dit « savez-vous qu’il a le palais gothique ? C’est une forme particulière du palais qui est le signe d’une alcoolisation fœtal » Le médecin a ajouté : « il a probablement été exposé à l’alcool avant la naissance ». Il nous l’a dit, mais de façon brute sans nous en expliquer les conséquences. On n’a pas vraiment percuté ; nous nous sommes simplement dit « un souci de plus ! ». Mais comme nous n’en comprenions pas les conséquences, nous n’avons pas compris que c’était le cœur de ses difficultés. On était tellement dans les problèmes qu’on n’avait aucun recul.
HAT : À quel âge avez-vous pu mettre un nom sur ses difficultés ?
Jusqu’à 19 ans nous pensions que tout était lié à l’adoption. Ce n’est que lorsqu’il a été jeune adulte que nous avons eu un diagnostic précis. A l’époque, nous l’avions envoyé chez ma belle-sœur qui vit dans l’Ouest canadien. Là-bas, à Vancouver, un médecin a repéré ce qui n’allait pas. Il a vu mon fils et a dit « S.A.F. ». C’était la première fois que ces trois lettres ont été prononcées : S.A.F pour Syndrome d’Alcoolisation Fœtale. C’était en 2011 et Internet était suffisamment développé, alors nous avons trouvé des informations sur le net et ces visages d’enfant avec le SAF et nous avons compris.
HAT : Vous avez dit à votre fils de 19 ans qu’il avait un Syndrome d’alcoolisation fœtal. Comment a-t-il réagi ?
Ma belle-sœur lui a expliqué. Elle a trouvé les mots qu’il fallait. Quand, nous ses parents, nous lui avons parlé, nous nous sommes d’abord excusés. Nous avons compris que s’il ne pouvait pas faire ce que nous lui demandions, ce n’était pas parce qu’il y mettait de la mauvaise volonté, c’est que son cerveau ne lui permettait pas de le faire. Ça a été un gros soulagement pour lui parce qu’il a compris que ce n’était pas de sa faute.
Nous avons alors fait des démarches auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) pour une reconnaissance de handicap. Il a repris ses études et fait un CAP dans une école de coiffure. Mais cette fois, nous avons prévenu qu’il avait le droit à des aménagements et au tiers temps pour les examens et il a eu son CAP. C’était la première fois de sa vie qu’il obtenait un diplôme. J’en ai pleuré de joie.
HAT : Rétrospectivement, est-ce que vous vous dites « si on avait su avant ? »
Si nous avions su avant, nous n’aurions pas fait toutes les erreurs d’éducation qu’on a fait : insister, insister insister lourdement pour qu’il apprenne les récitations, les tables de multiplication. On ne l’aurait pas enquiquiné, on n’aurait pas passé des heures devant les devoirs. Ça, c’était une bêtise….. Mais combien de parent font cette même erreur ?
Il aurait fallu adapter ses devoirs, lui donner une calculatrice dès 6ans, puis un ordinateur. Il aurait pu avoir un AVS. Mais tout cela il ne l’a pas eu, et ça c’est un drame parce que je vois d’autres enfants qui ont été diagnostiqués plus tôt. Grâce aux aménagement scolaires, leur parcours est bien meilleur et surtout, leur estime d’eux-mêmes est préservée.
HAT : Vous vous en voulez aujourd’hui encore ?
Je dirais que nous aussi, nous étions victimes : victimes du fait que les médecins de l’époque les pédiatres, les généralistes n’étaient pas fichus de reconnaitre un SAF alors que c’était marqué sur son visage. J’en ai beaucoup voulu au monde médical. Énormément. Personne n’a rien vu. SI le gastro-entérologue avait été un peu plus précis, on aurait mieux compris. Peut-être qu’on n’a pas été assez curieux, on n’a pas cherché à comprendre. On a fait des erreurs.
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